"Au nom du Seigneur, je les sabre !"... Bigre.
Le Psaume 118 porte le numéro 117 dans le psautier romain.
Il conclut le Hallel, la grande liturgie de louange, pour la célébration de la Fête des Tentes (Souccot) qui célèbre à la saison des récoltes (septembre-octobre) l’assistance providentielle du Seigneur Dieu envers son peuple au désert : « clameurs de joie et de salut sous la tente des justes, la droite de Dieu a fait prouesse… ». Cette importante fête de pèlerinage n’a pas de pendant chrétien, à la différence de la Pâque et de la Pentecôte. Elle célèbre l’accomplissement complet des promesses du salut adressées à Israël. D’une certaine façon, c’est la fête messianique par excellence. On en trouve les échos dans la fête des Rameaux précédant le dimanche de Pâques et dans la fête de la Toussaint.
Dans les Evangiles, les Actes des Apôtres, les épîtres de Pierre et de Paul, ce psaume est une référence scripturaire constante et très insistante :
- Le verset « la pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle »: c’est la citation biblique qui revient le plus souvent dans les écrits néo-testamentaire, presque comme un mantra de l’apôtre Pierre (il faudra y revenir : c’est un thème qui signe sa prédication dans les Actes des Apôtres)
- L’épisode de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, quoiqu’elle ait lieu peu avant Pâques, est baigné de l’ambiance de la fête de Souccot célébrée dans ce psaume : « Ouvrez-moi les portes de justice », « Voici le jour que fit le Seigneur, pour nous allégresse et joie », « de grâce donne le salut » (Hoshiy’ah na = Hosanna), « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », « serrez vos cortèges, rameaux en main ». Cette anticipation de 6 mois de Souccot n’est pas une aberration : elle signifie que les temps sont accomplis. Les Chrétiens n’ont pas gardé la fête de Souccot, mais ils célèbrent le dimanche des Rameaux qui en est la réinterprétation.
- Le maître mot du Psaume, son thème omniprésent, est Shouah : le Salut. Le nom de Jésus est « Yeshouah » (contraction de « Yehoshouah » des textes anciens = « Dieu Sauve ».) Le psaume est interprété par les premiers chrétiens comme une variation autour du nom de Jésus. Car dans le psaume, c’est bien Dieu qui sauve. Sans doute, lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem, tout le rituel de Souccot a été activé en référence à ce psaume, et ce psaume entonné en référence au nom de Jésus. On peut comprendre la réaction des quelques pharisiens dans la foule : « Rabbi, engueule tes disciples » (Luc 19,20). Trop c’est trop !
Ces citations du Nouveau Testament renvoient toutes à la 2ème partie du psaume qui rend grâce pour le salut accompli par Dieu. La 1ère partie (qui suit la louange introductive : « rendez grâce au Seigneur car Il est bon… ») est une sorte de commémoration d’une Pâque, d’un passage de l’angoisse et de l’oppression au salut. Le pivot est aux versets 13-14 :
« On m’a poussé, poussé pour m’abattre,
Mais le Seigneur me vient en aide :
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur,
Il fut pour moi le Salut »
On notera qu’on ne peut être plus clair : Dieu sauve, « Yehoshouah », et même mieux : le psaume énonce en toutes lettres : « Yeshouah » (« wishouah », « et (de) salut » qui s’écrit : « wiyeshouah ». au verset 15 : « lishouah », « pour salut », qui s’écrit « liyeshouah »).
Revenons à la première partie : le passage au salut. De quoi Dieu sauve-t-il Israël ?
- de l’homme qui lui est spontanément ennemi : « Le Seigneur est pour moi, plus de crainte / que me fait l’homme, à moi ? / Le Seigneur est pour moi, mon aide entre tous / J’ai toisé mes ennemis / Mieux vaut s’abriter dans le Seigneur que se fier en l’homme / Mieux vaut s’abriter dans le Seigneur que se fier aux puissants »
- des nations païennes, les « goyim » : « Les « goyim » m’ont tous entouré / au nom du Seigneur, je les « taille » / Il m’ont entouré, enserré / au nom du Seigneur je les « taille » / Ils m’ont entouré comme des guêpes/ Ils ont flambé comme feu de ronces / au nom du Seigneur, je les « taille ».
Que veut dire : « je les taille ? » ou « je les coupe » ?
Dans nos traductions du psautier, on traduit par « je les sabre » ou « je les taille en pièces ». Cela paraît moins scabreux et plus martial. La Bible des Septante, qui est somme toute la version la plus ancienne de la Bible dont nous disposons garde l’idée de coupure : « èmunamèn autous » : je m’en sépare, je m’en dégage. La Vulgate de Saint Jérôme donne : « ultus sum in eos » : je me venge d’eux. On oscille donc entre des traductions de sens différent : les unes donnent une tonalité martiale au passage qui jure avec un texte qui n’est pas un chant de guerre et d’autres pour lesquelles l’opération quasi-chirurgicale de la coupure est passée sous silence et le mot édulcoré.
Le verbe employé est celui qui signifie « tailler », certes, mais il signifie aussi, et d’abord, « circoncire ». Comme souvent le texte hébreu joue de la polysémie. On peut dès lors aussi comprendre le texte ainsi : « je les circoncirai », « ils entreront dans la brith milah, l’alliance de la coupure ». Je comprends : « je les ferai entrer dans l’alliance d’Israël ou je les retrancherai ».
Ainsi le salut promis à Israël oppressé par les Nations et proclamé par les disciples de Jésus lors de son entrée messianique à Jérusalem n’est pas une vengeance de Dieu qui s’exercerait sur les Nations par un Israël dotés de superpouvoirs, mais une ouverture de l’alliance aux Nations par la circoncision.
Quelle circoncision ?
« Le Seigneur s’est attaché à tes pères, par amour pour eux, et après eux il a élu entre toutes les nations leur descendance, vous-mêmes, jusqu’aujourd’hui. Circoncisez votre cœur et ne raidissez pas votre nuque… » (Deutéronome 10, 15-16).
« Circoncisez-vous pour le Seigneur, circoncisez vos cœurs, hommes de Juda et habitants de Jérusalem, de peur que ma colère n’éclate comme un feu… » (Jérémie 4,4).
Le salut d’Israël, puisque c’est du salut qu’il s’agit et non de l’élection, est dans la circoncision du cœur. C’est elle qui lui apporte à Israël la paix de Dieu et lui évite la colère. La circoncision du corps est le signe de la mise à part d’Israël parmi les nations pour une alliance qui ne peut se vivre que dans la circoncision du cœur. Les Nations ne sont pas appelées à faire disparaître ce signe distinctif, qui singularise Israël comme peuple élu, mais à entrer dans l’héritage de son alliance qui est cette circoncision du cœur. C’est ainsi qu’Israël est peuple de l’alliance qui porte le salut à toutes les nations par son Roi Messie.
D’ailleurs le Psaume 118, ne fait-il pas déjà allusion au salut répandu parmi les nations ?
Qu’elle le dise la Maison d’Israël,
Eternel est son amour !
Qu’elle le dise la Maison d’Aaron,
Eternel est son amour !
Qu’ils le disent, les « craignant Dieu »
Eternel est son amour.
Les craignant-Dieu étaient ces païens qui gravitaient autour des synagogues et écoutaient les enseignements de la Torah. J’ignore si ce terme avait déjà cette signification à l’époque où ce psaume fut composé. Mais ce serait cohérent avec la lecture que je fais de ce passage. Que le disent le peuple d’Israël, ses prêtres et ses adorateurs parmi les nations : éternel est son amour !
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