La question synoptique

Le Nouveau Testament comprend 4 évangiles. Leur ordre de classement dans nos Bibles reprend celui des premiers canons des écritures néo-testalentaires : Matthieu, Marc, Luc et Jean, selon l’ordre de parution qu’on leur attribuait.

Les 3 premiers évangiles ont pour particularité d’avoir beaucoup de passages en commun. Cela leur a valu d’être appelés « synoptiques », « à regarder ensemble ». La quasi-totalité de Marc se retrouve chez Matthieu et Luc, dans une organisation différente du récit et bon nombre de passages de Matthieu se retrouvent dans Luc, là encore dans des contextes et avec des formulations différentes. Mais chacun a inséré dans son évangile des récits ou des enseignements qui lui étaient propres. Quels liens de dépendance peuvent avoir ces écrits entre eux ? Pourquoi disent-ils apparemment à peu près les mêmes choses dans l’ensemble sans du tout dire les mêmes choses dans le détail ? La question est assez complexe pour avoir alimenté des spéculations sophisitquées et des controverses académiques, courtoises mais intenses. Elles n’ont jamais vraiment trouvé leur solution. Un modus vivendi a été trouvé entre les experts autour de quelques propositions qui faisaient consensus, quoiqu’elles fussent restées à l’état d’hypothèses. Il avait l’immense intérêt de transcender les différences confessionnelles entre ecoles protestantes et catholiques. Pour faire simple :

  • Les rédacteurs de ces évangiles ne sont pas à proprement parler leurs auteurs, car ils ont mis en forme des informations qui venaient de sources différentes sans y mettre leur griffe.
  • La transmission des dits et gestes de Jésus doit beaucoup à la traditions des premières communautés qui ont adapté l'évangile aux circonstances qu’elles rencontraient et à leur besoin croissant de croire en la divinité de Jésus.
  • le processus de rédaction s’est étalé dans le temps, à mesure que s’évanouissait la perspective d’une « parousie » imminente, c’est-à-dire du retour du Christ dans sa gloire et que les communautés s’organisaient pour tenir dans le temps après la destruction du Temple de Jérusalem dans un contexte de persécution.

Pourquoi revenir sur ce modus vivendi de l’exégèse contemporaine ? Pour trois raisons.

  • D’abord ce schéma d’élaboration des évangiles ne paraît pas tenir la route. Non pas que l’hypothèse d’une rédaction tardive altère nécessairement la crédibilité des évangiles, mais plutôt que ce mode de propagation de l’Evangile par le "téléphone arabe" est irréaliste. Les textes qui sont censés faire autorité sont rédigés sous le patronage de communautés qui en conditionnent le contenu. C'est donner une grande autorité canonique à ce commanditaire impersonnel qu'est la communauté. Ne serait-ce pas un ultime avatar du romantisme allemand ?
  • Ensuite il est sclérosant : on a été amené à accumuler des hypothèses explicatives qui se confortaient les unes les autres, au point de prendre la forme d'un cadre théorique dont on ne pouvait s'extraire. Si l’on contestait une hypothèse, une autre qu’elle induisait venait à son secours sous la forme d’une vérité établie.  Ainsi en est-il de la reconstitution théorique de l’apparition des ministères dans l’Eglise ou de la théorie de l'évolution d’une « Christologie basse » vers une « christologie haute» ou encore d'une rupture officielle avec la synagogue après la destruction du Temple. D’hypothèses pour confirmer la datation tardive des évangiles, elles sont devenues sa justification. Le chien se mord la queue.
  • Enfin parce qu’il oblige à mettre à distance le Jésus réel et un Christ recomposé par les croyants, comme si les communautés chrétiennes, lasses d’attendre la Parousie, avaient plus ou moins inventé une théologie qu’elles justifiaient par quelques récits, dont certains fabuleux. Une communauté créatrice de certaines sources de sa foi est-elle encore une communauté croyante ?

En examinant de près les concordances et les discordances des synoptiques et l’originalité de leur approche de la vie et de l’enseignement de Jésus de Nazareth, je suis arrivé à une explication que je crois simple et opérante des relations mutuelles entre les évangiles, incluant celui de Jean. Pour l’accepter, il faut reprendre la question à zéro. il faut accepter de ne pas s'enfermer dans des hypothèses historiques qui reprises sur plusieurs générations ont acquis force d’évidence. Il faut prendre le risque de regarder d’un regard neuf les origines chrétiennes que nous ne connaissons pratiquement que par le Nouveau Testament. Il faut accepter aussi de ne pas écarter les témoignages de l’époque patristique et de l’évangéliste Luc lui-même sur la genèse des évangiles en fonction de commodités théoriques qui rendent les faits simples nébuleux et le bon sens suspect.